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Le billet du 17 septembre 2013

On n’enferme pas la liberté

Le premier épisode de mon histoire a commencé hier au soir.

En franchissant le pont de Bercy dans la rame de la ligne 6, mon regard a été happé par une grosse tache lumineuse, dressée en contre bas sur le trottoir du quai d’Austerlitz. C’est la couleur qui m’a fait sursauter : jaune ! Je connais bien une incongruité chromatique dans les façades qui bordent le quai, mais pas de cette couleur. C’est un vieil immeuble de briques sales, de cinq ou six étages, voué à une démolition prochaine ; les accès en ont été murés avec des parpaings.

Depuis le mois d’octobre dernier, des grapheurs acrobates lui en font voir de toutes les couleurs. Au début le bâtiment s’est mis à saigner du toit, comme s’il avait subit une monstrueuse trépanation. De monumentales dégoulinades vermillon-fluo ont ruisselé, sur 2 ou 3 étages, le long de son pignon et de sa façade tournée vers le quai. Fin Août c’est la totalité du pignon qui a viré à l’écarlate et s’est rehaussé d’enluminures argentées qu’on aurait crues sorties de l’application d’un moine médiéval. Pour l’heure, c’était la silhouette familière de la statue de la liberté, d’un jaune d’or chaleureux, qui avait investi toute la façade et interloqué mon champ visuel. Triomphant du sang précédemment versé, elle brandissait son flambeau jusqu’aux fenêtres les plus hautes. L’éblouissement fut très bref, à peine le temps de repérer une silhouette suspendue en rappel le long du mur que déjà la rame se réfugiait sous la marquise de la station Quai de la Gare.

Mon petit cœur de reporter en herbe ne fit qu’un tour. Demain je « couvrirai » l’événement ; je le fixerai dans la boite magique de mon appareil photo. Je figerai pour des années, dans les 0 et les 1 du cloud, la Liberté bombée sur la brique bien après la démolition même de son support.

Aujourd’hui donc, à midi, toujours investi de ma noble mission, je renonçai volontairement aux fumets de l’émincé de bœuf aux petits oignons qui rabattait la foule vers le restaurant d’entreprises. J’achetai, à la volée, mon habituel jambon-gruyère et filai, appareil photo en poche, vers le quai d’Austerlitz. Je fis le chemin dans le même état d’esprit, j’imagine, que les abeilles : animé par le merveilleux souvenir du jaune d’or entrevu la veille.

Dé-cep-tion.

A l’approche, je constatai d’abord que la peinture rupestre de mes rêves n’était en fait qu’une gigantesque tenture qu’on avait hissée le long de la façade.

Ensuite, voilà que l’échafaudage lui-même était en cours de démontage. Il ne restait plus que quatre ou cinq mètres de la bannière pour pendouiller encore, agités de soubresauts. La tête de la statue et son auréole de rayons frôlait le sol, encore une minute et la Liberté aurait fini de s’engloutir dans les plis de l’étoffe que cinq adeptes de l’art éphémère s’efforçaient d’enrouler de leur mieux.

J’avais cru pouvoir enfermer la Liberté et conserver l’Instant dans je ne sais quel grand congélateur numérique. Vanité !

Nous cheminons sur l’arrête du présent : d’un côté l’abîme du passé disparu, de l’autre celui du futur inconnu. Faut pas rater la marche…

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