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Le billet du 08 octobre 2013
Quarante jours
Les gourous, les coachs et tous les donneurs de bons conseils vous le diront : dans la vie, il faut avoir des objectifs.
Quarante jours, c’est le quota annuel que je me suis fixé pour me transporter sur mon lieu de travail par le seul recours de ma bicyclette, mes cuisses et mollets et ce qu’il leur faut d’huile de genou pour s’articuler ensemble.
Pourquoi quarante ? Parce que Fontenay-aux-Roses / Gare de Lyon / Fontenay-aux-Roses, en suivant les pistes cyclables, font vingt-cinq kilomètres, que quarante fois vingt-cinq font mille et que mille est un chiffre rond qui sonne bien.
Pour quelles motivations ? Officiellement, que les nobles raisons d’une quête d’exemplarité personnelle :
- Écologique : la citoyenneté durable qu’on nous vante est la somme, nous dit-on, de petites actions individuelles – pourquoi ne pas mettre mon modeste pignon dans cette grande chaîne ?
- Hygiénique : en tout petit ou en gros on nous écrit partout qu’il nous faut bouger ; tout le corps médical, du fond de son fauteuil professoral, nous exhorte à ne pas nous laisser ankyloser par la sédentarité.
- Altruiste : quarante jours par an, je libère un peu d’espace aux autres sardines, mes sœurs, qui voyagent par le métro.
Plus officieusement et de vous à moi, j’aime bien ne pas faire comme tout le monde, j’ai toujours aimé faire du vélo et, la magie de cet équilibre gyroscopique émerveille encore mon esprit.
Mais je me trompe, à mon âge il n’est plus question de « vélo ». Le vélo est latin. Les Français y associent « Tour de France », les Italiens « Giro » ; on est dans l’exploit, le dépassement, même les vététistes en ressortent exsangues et tout crottés.
Moi, je fais de la bicyclette. Celle-là possède la mesure des anglo-saxons et la modestie des nordiques. Dans mon archétype imaginaire, faire de la bicyclette ce serait tenir l’allure ample, presque noble, campé sur l’une de ces hautes machines « Batavius », la tête haute et pleine de toute la philosophie vélocipédique danoise.
Dans la pratique, je compose. Je circule en V.T.C. « Gitane » et, même si d’année en année je rehausse la position de mon guidon, je me suis autorisé des aménagements personnels pour adoucir les préceptes vikings : je refuse de rouler sous la pluie !
C’est pour cette raison que cette année, j’ai longtemps cru que je ne tiendrai pas mes objectifs. Comme disent les chroniqueurs sportifs, j’ai eu un début de saison calamiteux, à l’image de la météo. Mais le mois d’août a été merveilleux et j’ai pu savourer tous ces petits rendez-vous rituels qui jalonnent mon parcours.
Place de Catalogne, c’est le coup d’œil au loin vers la silhouette de la Tour Eiffel, dressée au fond de la perspective du Boulevard Pasteur.
8h05, arrêté au feu rouge du carrefour des boulevards Montparnasse et Raspail, je regarde le garçon de café, en gilet et tablier long, installer les chaises cannées à la terrasse du Dôme.
Puis ce sont les grands tours de pédales sans effort, juste pour garder le rythme et accompagner la longue glissade dans la pente du boulevard du Port-Royal que le soleil prend en enfilade.
Presque arrivé, c’est le salut à la Seine depuis le pont d’Austerlitz, un vaste regard panoramique de Notre-Dame aux cheminées d’Ivry.
Les allers sont toujours des promenades faciles : il fait frais, on est reposé, ça descend. Les retours sont plus physiques : il fait chaud, on est moins frais, ça monte. Mais ce sont d’autres plaisirs.
Ce sont les terrasses bondées, avec un air de fête au village, autour de cet arc de cercle que fait la rue Delambre quand elle débouche sur le boulevard Edgard Quinet. C’est le courant d’air rafraîchissant au pied de la Tour Montparnasse.
Je fais une halte à la boulangerie du Moulin de la Vierge, pour acheter la baguette du soir dans une boutique d’un autre siècle. Défilent ensuite les aires de jeux grouillantes de cris d’enfants, le long de la rue Vercingétorix.
Dès qu’on franchit le périphérique, on a la sensation d’échapper à la touffeur de la ville et le dos humide de transpiration se régale de ce qui ressemble, pendant quelques instants, à une fraîche douceur. Et puis, presqu’au terme, j’aborde la dernière descente, une plongée dans les lacets serrés de la coulée verte avec le vacarme des ponceaux de bois sous le passage des roues.
Yes ! Un de plus ! Un qui s’ajoute patiemment à la suite des autres, au long de la saison et au gré des météos.
Ce soir, j’ai bouclé le quarantième et pour la troisième année consécutive, j’ai tenu l’objectif. En raccrochant mon vélo à son clou, je me suis dit qu’il était sans doute temps. On annonce un retour des pluies et un coup de froid pour la fin de la semaine. La nuit va à nouveau manger le jour, s’en est fini pour cette année, maintenant ce sera « roue libre » pour la bicyclette.
Quant à moi, je vais rentrer dans le rang.
Au bord du quai.
Avec les autres.
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