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temps de lecture 18 mn

Plus qu’un billet voici un conte de 5 pages. Il faut dire que des évènements comme celui qui en est à l’origine ne se produisent pas tous les jours… heureusement ! Le narrateur de ce conte est lui aussi assez rare.

Le billet du 07 juillet 2014

La grande frayeur de Petitatou (conte)

Je suis né Tatou, Tatou Em’ Boa, pour vous donner mon patronyme complet. Mais mon propriétaire actuel m’appelle Petitatou.

Mon père était un fier et fort Moutouchi. Il avait bataillé ferme pour s’élever à trente mètres au dessus de la mangrove et faire sa place au soleil. De lui, j’ai hérité la belle couleur beige rosée de mon veinage et mon grain serré.

Les gens sont toujours surpris, à me sentir si léger, que je puisse être aussi dur. C’est qu’il ne savent rien du monde des loas. Moi je connais Grand-Bois et Papa Loco, les esprits de la forêt, et je sais la puissance de leur magie.

Ma mère était la main de l’artiste Saramaca qui m’a sculpté. C’est à ses gestes précis que je dois mon dos arrondi, ma longue queue, mon museau pointu, mes petites oreilles rondes et mon regard fûté. Elle, c’est Damballa, l’esprit de la connaissance, qui l’a inspiré. Damballa aime bien l’art Tembé, c’est pour ça qu’elle m’a fait des rangées d’écailles bien régulières et bien géométriques.

J’ai l’air d’une bûche comme ça, immobile, qui ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien. Mais à l’intérieur, quand le souffle de Damballa circule dans mes veines, je vois tout, je comprends tout, j’entends tout.

Ah! pour entendre, ça oui, j’entends! J’ai même failli en mourir le jour de ma grande frayeur.

Et même si je ne parle pas, c’est tout de même moi qui raconte cette histoire. Bien sûr, le vieux monsieur chez qui j’habite maintenant vous dira que non. Il croit que c’est lui l’écrivain. C’est parce qu’il ne sait pas.

La nuit, quand il vient s’allonger à côté de moi pour reposer son esprit fatigué, il ne sait pas qu’à travers mes écailles c’est papa Damballa qui lui met dans la tête les mots que le lendemain il griffonne dans son petit cahier à couverture noire.

De ma petite enfance en Guyane je n’ai que quelques souvenirs

Sitôt après ma naissance, la main qui m’avait fait naître me mit dans un sac avec cinq autres de mes frères. Quand le sac s’ouvrit, ce fût une autre main qui nous saisit pour nous poser, sur une étagère, alignés côtes à côtes. Je compris ce jour là que mon destin serait de passer de mains en mains.

J’entendais au dessus de moi la pluie crépiter violemment sur la tôle ondulée. Je la voyais s’égoutter en millier de perles transparentes sur le bord de l’auvent auquel nous faisions face. D’autres fois, c’était le soleil qui m’aveuglait en se reflétant sur les flaques qui parsemaient la terre rouge.

Deux de mes frères furent saisis par la main qui nous avait sorti du sac tandis qu’une autre prenait d’une troisième quelques papiers froissés. C’était toujours après que des yeux d’enfants émerveillés nous aient regardé longtemps, longtemps…

Damballa m’apprit par la suite que l’endroit où nous étions s’appelait une boutique. Le troisième qui fût vendu, ce fût moi.

A ma grande surprise, les mains dans lesquelles je tombais étaient celles d’une femme. En plus, elles étaient blanches. Je voyais très bien dessus les petits cratères rouges que les moustiques y avaient laissés après s’être régalés.

Ce fût un souvenir très fugace. Ces mains n’existèrent que pour m’emmailloter délicatement dans un papier mystérieux où les bulles d’air restaient bien rangées les unes à côté des autres. Je me sentis ensuite déposé dans un petit carton douillet, juste à ma taille, puis ce fût le noir: les mains blanches avaient refermé le paquet.

Je ne comprenais plus rien aux bruits que j’entendais. J’interrogeais Damballa mais je ne sentais plus son souffle. Ce fût papa Loco qui me répondit avec son méchant ton bourru : « Fais la bûche et attends que ça passe! ». Je m’endormis.

Je m’éveillais en frissonnant. On m’avait sorti de ma boîte. Un vieux monsieur me tenait entre ses mains et me retournait dans tous les sens en m’appelant Petitatou d’un air attendri.

La pièce où je me trouvais était remplie de choses bizarres que je n’avais encore jamais vues. Les petits arbres que j’apercevais dehors portaient aussi des feuilles que je ne connaissais pas. Ce qui m’intriguait le plus c’est que je voyais leurs branches se balancer sous le vent et que je ne sentais aucun souffle sur mes écailles. Comme si une force mystérieuse et invisible séparait le dehors du dedans.

En écoutant les conversations, je compris à la fin que les mains blanches qui m’avaient mis dans le carton étaient celles de la nièce du vieux monsieur. Lui aussi a les mains blanches, de même que la dame plus jeune qui vit ici et qui semble aussi bien disposée à mon égard. Finalement, tout le monde ici a les mains blanches, même le jeune homme que je vois moins souvent et qui les agite dans tous les sens autour de lui quand il parle.

Moi qui aime la tranquillité, j’étais un peu contrarié par mon nouveau logis. A certains moments, tout le monde s’y agitait en remplissant mes petites oreilles de bruits inquiétants. Ce qui me préoccupait beaucoup c’est que j’avais perdu tout contact avec Damballa. Il semblait qu’il ne connaissait pas ce pays étrange. Dans les moments de calme, j’avais beau me tenir à l’affût, plus jamais je ne sentais son souffle m’envahir pour m’expliquer ce qui se passait. J’en aurais pourtant eu bien besoin.

Deux choses en particulier me faisaient frémir.

L’une était la machine à laquelle s’intéressait surtout le jeune homme quand il venait. Elle faisait d’abord clignoter ses deux yeux bleus alternativement puis, dans une pétarade d’enfer, elle laissait s’écouler sous elle un jus noir dont l’odeur me laissait perplexe : il me semblait la reconnaître d’un passé lointain qui ne voulait jamais se dévoiler à ma mémoire.

L’autre était la grande lame d’acier brillante qui reposait sur une planche à quelques centimètres seulement de mon museau. Un de ses bords était hérissé de petites dents acérées envers lesquelles mon père n’avait cessé de me mettre en garde. Quand ils étaient tous assis en rond autour de la table, je voyais régulièrement le vieux monsieur venir s’en saisir pour débiter en morceaux ce que j’avais d’abord pris pour une branche mais qui n’était pas du bois. Comme on m’avait tourné, je ne pouvais pas voir ce qu’il advenait des morceaux qu’il emportait, mais jamais je n’en vis revenir aucun. A chaque fois j’étais terrorisé, pensant c’était mon tour de disparaître, débité en tranches.

Aujourd’hui j’en rirais presque, tant j’étais dans l’ignorance de la machine à café et du couteau à pain.

Un jour enfin, le vieux monsieur m’emporta et me déposa dans un autre endroit ; celui où je vis maintenant. Tout de suite, ce lieu m’apaisa. D’un coup j’eus la certitude que Damballa le connaissait.

En effet, une fois la porte refermée et le calme revenu, je sentis à nouveau avec soulagement que le souffle de la connaissance circulait en moi. Peu à peu, je compris toutes les choses inconnues que j’avais vécues depuis mon réveil et qui m’avaient tellement inquiété et intrigué. J’appris aussi que je n’étais pas seul.

La première avec laquelle j’ai lié connaissance a été la couleuvre à manioc qui est appuyée dans le coin de mur en face de celui où je suis posé. J’avais déjà vu plusieurs de ses sœurs tressées dans la boutique où j’avais été acheté en Guyane. Elle est née il y a fort, fort longtemps, elle aussi sur les bords du Maroni. Bien que je sois beaucoup plus jeune qu’elle, nous bavardons maintenant comme des amis de longue date.

Me faisant face et perchés sur leur commode en bambou, il y a aussi coco et gros-bec : respectivement perroquet et toucan de leur état. De ces deux-là, mon père m’avait raconté l’éclat de leurs couleurs quand leurs vrais cousins venaient s’égailler dans ses ramures.

Il y a aussi un grand tableau sombre de bois sculpté, accroché presque à la naissance du toit et qui semble dominer toute la pièce. Celui-là, je ne l’aime pas trop, je le trouve inquiétant. Il représente des scènes de la vie des champs mais je n’y vois que des dos ployés sous le fardeau des cannes à sucre et des reins cassés à piocher la terre. J’évite de trop le regarder car à chaque fois, il me revient en mémoire les histoires effrayantes que racontait ma mère quand elle évoquait la vie de ses ancêtres dans les temps d’avant le marronnage.J’ai raison de le redouter car un jour le tableau s’est mis à vibrer et à s’agiter comme pour se libérer de ses crochets et j’ai entendu la voix rauque et brutale de Papa Loco qui rabrouait ces pauvres bougres penchés sur l’effort.

Juste derrière moi, j’entends parfois sonner le tambour. De la façon dont le vieux monsieur m’a disposé, je ne peux pas le voir, mais je sais que sur le même chevet que moi il y a un joueur de tambour. Il s’appelle Gwo-Ka et vient d’Haïti. Quelques fois il chante les airs de son île pour accompagner ses battements. Damballa aime bien quand il fait ça, souvent il s’invite pour venir écouter.

Si je vous raconte tout ça, c’est pour vous dire que tout va bien pour moi dans ma nouvelle vie. Mis à part le vent frais du matin qui me hérisse un peu les écailles quand la dame plus jeune ouvre en grand la fenêtre. Pour le reste, je peux continuer à faire la bûche tout à mon aise, entouré de mes amis dans le calme de cette pièce qui reste vide toute la journée.

Tout va pour le mieux ou plutôt tout allait pour le mieux. Jusqu’à ce jour de ma grande frayeur. Celui où j’ai cru partir en fumée, le cerveau en copeau, tout vrillé qu’il était, par cet horrible bruit qui s’engouffrait dans mes petites oreilles. Ah là là, j’en frémis encore.

Ça s’est passé le 07 juillet. Je le sais parce qu’après, le vieux monsieur et la dame plus jeune n’arrêtait pas de se le répéter d’un air consterné et en même temps ils disaient que c’était un drôle d’anniversaire.

Je ne saurais plus trop dire si c’était le matin ou l’après-midi. Ce n’est pas toujours facile quand tout est calme et immobile de suivre le temps qui coule. Ce sont mes oreilles qui m’ont alerté en premier. Le mur juste à côté de moi, celui sous la fenêtre, grognait avec un bruit de raclement comme si on lui étrillait l’échine avec un vilain râteau à la dent dure.

Aussitôt après la lumière s’est obscurcie. Il me semblait voir une grande ombre bouger gauchement derrière la fenêtre. Je devinais tout cela du coin de l’œil gauche, incapable que je suis de tourner la tête. Puis ce fût au tour du bois de l’huisserie de se mettre à gémir et à grincer. Je sentis passer au travers de moi toute la douleur de ses fibres qu’on écrasait et qu’on pinçait. Il y eu un grand crrraaaccc et la fenêtre s’ouvrit à toute volée laissant entrer du dehors une grande odeur de pluie fraîche.

En même temps il y eu un grand choc. C’était celui des lourdes chaussures de l’homme qui venait de sauter sur le parquet.

J’aurais voulu pouvoir bondir pour me cacher tellement j’avais peur et je maudissais mes parents de m’avoir fait aussi bûche. J’avais tout de suite compris que tout ça n’était pas normal, jamais la dame plus jeune n’avait ouvert la fenêtre de cette manière!

Je me fis le plus petit possible pour me faire oublier mais l’homme qui me tournait le dos se dirigea tout de suite vers la petite commode en bambous. Etait-il venu pour saisir coco et gros-bec? Non. Sans hésiter il prit le petit coffret à tiroirs qui était posé juste à côté de mes amis. Il se retourna et en renversa le contenu sur le lit.

Jamais auparavant je n’avais pu savoir ce que cette boîte renfermait. Le matin, je voyais souvent la dame plus jeune rester longtemps, pensive, devant les tiroirs qu’elle avait ouverts. Mais elle se tenait à chaque fois entre le coffret et moi m’empêchant de voir ce qu’elle regardait avec tant d’attention. Je savais seulement qu’elle y prenait quelques éclats de lumière qu’elle accrochait ensuite à ses oreilles ou laissait pendre autour de son cou. Damballa m’avait bien enseigné qu’il s’agissait de bijoux mais je n’en savais rien de plus. Maintenant ils étaient là, tous éparpillés sous mes yeux mais ce n’était plus du tout l’heure d’être curieux.

Je n’ai aucun souvenir du visage que pouvait avoir l’homme. Je crois que je ne l’ai même pas regardé. J’étais terrorisé par ses mains. Je ne voyais qu’elles qui courraient, avides, sur la couverture. attrapant certaines pièces, les jetant dans un sac qu’il avait posé sur le lit, en éparpillant d’autres, les soupesant, les retournant. Je les voyais se rapprocher de moi de plus en plus, c’est sûr elles allaient aussi m’attraper, me faire tourner sens dessus dessous et me fourrer dans ce maudit sac avec les éclats de lumière.

S’en serait fini de moi, de mon petit coin tranquille où il semblait que le temps n’existait plus. Fini les mélopées de Gwo-Ka, les souvenirs de la couleuvre. J’allais encore changer de mains et me retrouver perdu dans des mondes où Damballa ne venait jamais

Il n’en fût rien. Les mains, d’un coup, refermèrent le sac sans me prendre, l’homme se redressa, se dirigea vers la porte et sortit de la pièce. Je n’eus pas le temps de revenir de mon étonnement. A peine quelques secondes après, il y eut ce cri horrible, si long, si déchirant, si abominable qu’il a failli me tuer.

Mon père m’avait pourtant raconté tous les bruits qui peuplaient la mangrove, les plus inquiétants, les plus sauvages. Aucun n’était aussi terrible et douloureux que celui là. Uiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiui!!!. Et jamais cet oiseau là ne s’arrêtait pour reprendre son souffle.

Tout accaparé par la douleur de mes tympans, je vis à peine passer l’ombre d’une galopade. Les chaussures de l’homme foulèrent le lit sans ménagement, passèrent à quelques centimètres de mon museau, d’une enjambée elles prirent appuis sur le radiateur et l’ombre toute entière disparut dans le vide béant de la fenêtre ouverte.

Uiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiuiui!!!!! L’oiseau infernal continuait de hurler. Plus rien n’existait autour de moi, rien d’autre que ce cri strident qui me perçait les oreilles et me vrillait le cerveau.

Me percer les oreilles? Me vriller le cerveau? Oui c’était ça! Cette idée folle s’empara de moi et m’emprisonna l’esprit. Ça y est , je sentais la pointe tranchante du foret s’attaquer à ma tête dure, elle se donnait du mal pour faire son trou, elle s’échauffait, le frottement allait bientôt rendre le métal brûlant, déjà une petite fumée bleue à l’odeur âcre s’enroulait autour de la mèche. C’est ça j’allais m’enflammer de l’intérieur, me consumer et périr par le feu. Le feu, le feu, le pire fléau de la lignée des Em’Boa !

Dans un dernier sursaut, j’implorais Damballa, je suppliais Papa Loco!

« Arrêtes de te monter la tête, fais la bûche et attends que ça passe! »

La voix rocailleuse avait à peine fini sa phrase que, par magie, l’oiseau de malheur s’arrêta net.

Combien de temps je restais comme ça tout hébété ? Sans voir, ni entendre, ni penser ? Je n’en sais rien. Ce fût le vieux monsieur qui me tira de ma torpeur quand il apparût dans l’encadrement de la porte qui était restée ouverte. Il avait dû se passer beaucoup de temps car maintenant le jour était moins clair et l’odeur de la pluie fraîche imprégnait toute la pièce.

Je le voyais regarder alternativement le lit, la fenêtre, la fenêtre, le lit, d’un air incrédule. Il s’approcha de la fenêtre qu’il examina dans le détail. Il en fit manœuvrer les battants plusieurs fois, il se pencha dehors se tordant le cou pour voir je ne sais quoi puis, il se décida à la refermer lentement. Il me sembla d’un coup plus vieux qu’avant avec une sorte de fatigue consternée dans les yeux pendant que son front se plissait d’une colère qui ne voulait pas sortir.

Un peu plus tard, ce fût au tour de la dame plus jeune de venir. Elle s’agenouilla doucement sur le lit et commença à changer de place tous les petits éclats de lumières qui y étaient éparpillés. Moi je ne comprenais rien aux déplacements qu’elle faisait faire à chaque pièce mais elle faisait ça avec beaucoup d’application. Il devait s’agir d’un rite particulier pour invoquer les esprits du passé car à chaque soupir qu’elle laissait échapper, je voyais des morceaux de souvenirs s’en aller de ses yeux tristes. A la fin de cette cérémonie elle ramassa tous les petits éclats qui se trouvaient regroupés ensemble, à certains emplacements de la couverture, pour les remettre dans les tiroirs du coffret, Puis elle replaça le tout sur la commode, à sa place initiale.

Peu à peu les choses reprenaient leur ordre mais je sentais qu’en écho à l’horrible cri une espèce de pesanteur s’était abattue sur tout mon petit coin tranquille.

Le lendemain matin continua d’être inhabituel. Peu de temps après être parti, le vieux monsieur revint accompagné de deux hommes à casquette bleue que je n’avais jamais vus. A leur tour ils examinèrent la fenêtre dans tous les sens et se penchèrent au dehors pour regarder le jardin. Je vis écrire l’un des deux sur un petit carnet, puis ils s’en allèrent.

La journée se déroula ensuite comme les autres mais je restais inquiet tout le temps : j’avais peur que l’oiseau si terrible ne se remette à crier. Damballa aussi devait avoir eu peur car même quand Grow-ka essaya de l’appeler par son chant pour venir nous rassurer, il ne vint pas.

J’avais raison d’être sur le qui vive . Le soir tout a failli recommencer.

D’abord, le vieux monsieur était entrée dans la chambre avec une drôle d’échelle à quatre jambes qui se tenait dressée toute seule. Ensuite, et je trouvais cela très imprudent pour son âge, il était monté faire des acrobaties sur la dernière des marches pour visser le plus haut possible sur le mur, une espèce de tout petit totem. Ça ressemblait à une drôle de petite tête oblongue avec un seul œil surmonté d’un front disproportionné et tout bombé qui regardait vers la fenêtre.

Je sentis d’un coup toutes mes écailles se hérisser quand, au milieu de la manœuvre, j’entendis de nouveau l’oiseau affreux se remettre à hurler : uiuiuiuiuiuiuiui…

Le vieux monsieur aussi avait dû être surpris car je le voyais gesticuler pour retrouver son équilibre. Il porta la main à sa poche et en sortie un petit objet noir de la forme d’un galet qu’il agita au bout de son bras. Aussitôt l’oiseau s’arrêta, muselé.

Jamais je n’aurais penser que le vieux monsieur et Papa Loco partageait les mêmes pouvoirs. J’en étais tellement surpris que j’en avais oublié d’avoir peur.

Pourtant, le vieux monsieur, lui, n’avait pas l’air d’être fier de savoir faire taire l’oiseau de malheur. Au contraire, il avait toujours sur le front la même colère contre lui que la veille et je l’entendais se marmonner des mots dont je ne comprenais pas le sens. Quelque chose comme « Dix minutes, ça t’a pris dix minutes ! » et encore « Espèce d’andouille ! ». Et un peu plus tard pendant qu’il repliait les jambes de sa drôle d’échelle « Quinze ans que tu devais le faire ! ».

Tout ça fait maintenant partie du passé. Pour autant que je puisse en juger, car depuis, tout est redevenu calme et tranquille et je ne sais plus trop comment le temps s’écoule.

Moi qui suis curieux, j’ai demandé à Damballa qui était le petit totem et pourquoi quelques fois il faisait cligner son œil rouge. Mais il ne m’a pas répondu. D’ailleurs il vient moins souvent maintenant.

Pourtant j’ai eu une réponse, c’est Papa Loco qui me l’a donné, toujours avec son ton si aimable : « T’inquiètes, c’est ton grand frère qui t’regarde, ah, ah, ah ! » et il rigolait comme s’il avait dit une bonne blague.

Et puis menaçant : «  Et ne t’avises surtout pas de bouger sinon…  l’oiseau va te crier dans les oreilles ! Ah, ah, ah !»

Alors maintenant, je vois, j’entends, mais je ne bouge plus. Plus du tout. Je fais la bûche.

Ça tombe bien. Moi, faire la bûche, j’adore ça !

Quelques mots d’explication qui peuvent aider à mieux comprendre les allusions de ce conte :

La chambre où se déroule cette effraction était une des rares pièces de la maison que ma négligence n’avait pas équipée de détecteur de mouvement, alors que je les avais en réserve depuis 15 ans…

Elle était décorée de nombreux objets ramenés d’Haïti – terre du Vaudou – d’où ces loas (esprits invoqués lors des cérémonies) qui interviennent dans l’histoire. Petitatou leur est affilié par la lointaine origine africaine de sa mère, les Sarmaca de Guyane étant des descendants des quelques « nègres marrons » qui réussirent à fuir l’enfer de l’esclavage.


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