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Atelier d’écriture lundi 17 novembre 2025
URINOIR
En ce jeudi 23 février 1950, il fait froid sur Paris, surtout à 5h45 du matin. Paul Chailleau le sait bien, lui qui a pris sa garde à 3 h00, à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé. Ce n’est pas toujours facile, le métier de gardien de la paix. Sa mission ? Surveiller les allers et venus sur le boulevard le long du haut mur qui entoure la prison de la Santé.
A cette heure et par ce froid, tout est encore immobile et il bat la semelle et rentre la tête dans les épaules pour tenter de se réchauffer. Heureusement vers 5h00, son collègue Marcel, compatissant, lui a apporté un café bien chaud et ils ont grillé une cigarette ensemble. Mais maintenant, le voilà seul à faire les cent pas sous la faible lueur des réverbères qui laisse tout juste deviner les trottoirs déserts.
Le froid et le café, c’est terrible ! A 5h45, Paul Chailleau sent monter en lui l’irrésistible besoin de soulager sa vessie. Heureusement, tout est prévu. L’urinoir est là, juste à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé et voilà qu’il se glisse derrière le paravent métallique en demi-lune. Marcel, qui est le plus ancien de la brigade, lui a dit que c’étaient les Allemands qui l’avaient fait installer pendant la dernière guerre ; avant, ça se passait le long du mur.
A cet instant précis, sans doute coordonné par un complice guettant depuis les barreaux d’une cellule ouvrant sur le boulevard, un détenu qui, trompant la vigilance, s’était laissé enfermer dans l’espace de promenade situé derrière le mur, lance sa corde et son grappin pour se hisser jusqu’à son sommet. L’homme réussit à se rétablir et jetant sa corde à l’extérieur entreprend de se laisser glisser vers la liberté tandis qu’une 203 Peugeot qui stationnait plus haut commence à descendre doucement le long du trottoir, tous feux éteints.
C’était sans compter sur le professionnalisme du gardien Paul Chailleau qui, tout occupé qu’il était par le bas de sa personne, n’en gardait pas moins un œil vigilant par dessus la tôle du paravent. Dès qu’il aperçut l’ombre descendre le long du mur et sans même prendre le temps de se rebraguetter, Paul Chailleau n’écoutant que son devoir, bondit sur le trottoir, son arme de service au poing, pour procéder aux sommations d’usage, sans égard pour ses parties intimes exposées ainsi aux morsures de l’hiver.
Saisi dans sa descente à 1,50m du sol, le détenu se laissa tomber à terre et mit les mains sur la tête sans opposer de résistance tandis que la voiture à l’approche accélérait vivement avant de disparaître sans demander son reste.
Vivement félicité par ses supérieurs pour son action et son courage, le gardien de la paix Paul Chailleau sera cité prochainement à l’Ordre National du Mérite.
Le plus surprenant dans cette tentative d’évasion rocambolesque est que le détenu, loin d’être une pointure de la pègre, n’était qu’un malfrat de petite envergure. Jean-Claude Decaux, puisque c’est son nom, ne purgeait en effet qu’une peine légère pour récidive d’affichage illicite. Il n’y aura gagné qu’à retarder sa sortie de deux mois.
A cet endroit, cette « pissotière » a réellement existé et elle est restée intacte – oserait-on dire dans son jus ? – bien après que les « Sanisettes » aient remplacées toutes ces sœurs. Aujourd’hui, il n’y a plus rien pour se soulager à cet endroit. Il faut dire qu’il n’y a plus non plus de gardien de la paix pour y faire le planton…
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