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Atelier d’écriture lundi 1er décembre 2025

FOUET

A qui avait bien pu appartenir ce fouet ? Était-ce celui d’un dompteur ou bien celui d’un cocher ?

Avec les souvenirs qu’il a réveillés, ce mot a fait surgir en moi des interrogations qui ne m’avaient jamais effleuré auparavant.

Pour mener à bien mon éducation de petit garçon, mon père, comme beaucoup d’autres, suivaient des principes bien tranchés dont le fil des ans n’avaient pas encore eu le temps d’émousser les certitudes à angles vifs.

Parmi ceux-là, une bonne éducation passait par une bonne posture pour manger : « Tiens-toi droit et ne mets pas les coudes sur la table ! ». Pour les repas, j’étais assis en face de mon père, ma mère à ma droite et ma sœur en diagonale. Lui et moi, nous étions tous les deux du côté de la fenêtre, séparés d’elle par un de ces gros radiateurs de chauffage central en fonte qui assuraient le confort des maisons des années cinquante.

Posée sur le dessus de l’assemblage des éléments tubulaires, il y avait la baguette.

Pas celle du boulanger ! Une baguette fine, en bois de chêne, d’un mètre environ et de section carrée : la baguette « avertissement ». Celle qui frémissait dans la main paternelle lorsque mes coudes, irrésistiblement, retrouvaient sur la table le confort d’un point d’appui. Au pire, une légère tape sur le bras, le plus souvent un simple claquement sur le métal suffisaient à me faire retrouver le chemin de la docilité.

Je n’ai jamais reçu la moindre violence de la part de mon père mais il incarnait tout de même pour moi l’autorité incontestable, impensable à défier.

Des bêtises et des caprices, j’en ai fait comme tous les enfants ; comme par exemple celui de ne pas vouloir manger ces choux-fleurs qui me levaient le cœur. La menace prenait alors du grade et on allait sortir du placard le martinet qui y dormait à l’année, accroché entre le plumeau et la balayette. Je voyais, entre deux sanglots, le chignon de ficelles ébouriffées qu’on venait agiter sous mon nez pour me montrer le droit chemin.

Encore une fois, à part quelques rares tapes intempestives libérant une main excédée, mes fesses n’ont jamais eu à se plaindre de la moindre zébrure de la part de cet outil à la réputation épouvantable.

Mais l’arme de dissuasion massive, la bombe atomique de mon père, c’était le fouet. Celui-là, il suffisait de l’invoquer : « Attention ! Si tu continues, je vais aller chercher le fouet !». Dans les affrontements les plus vifs, on me traînait jusqu’à la porte ouvrant sur l’escalier du sous-sol, pour me laisser entrevoir, tout en bas dans la pénombre, toute l’horreur de sa réalité pendue le long du mur en parpaing.

Car il existait bel et bien. Je revois son manche fait de lanières tressées qui s’effilait progressivement pour finir par un seul et unique brin de cuir qui descendait jusqu’au sol. Il était pendu le long de l’épaisseur du mur de refend, dans l’embrasure de l’ouverture qui donnait accès au garage, accroché bien en vue au bout du râtelier où s’alignaient les outils de jardin : bêche, pelle, râteau, pioche…Jamais je n’ai vu mon père le prendre en main pour en faire quoi que ce soit mais il faisait quand même partie intégrante du paysage domestique de mon enfance.

Et puis les années ont passé, des incertitudes d’adolescent ont remplacé mes effrois d’enfant et ont porté mon attention ailleurs. Le fouet s’est fondu dans le décor, peu à peu rendu invisible pas sa banalité familière sans doute.

Maintenant qu’avec ce mot ma mémoire s’épanche, des questions se bousculent en rafale.

D’où venait ce fouet ? Comment avait-il fini entre les mains de mon père ? L’avait-il acheté, mais pour quoi faire ? Lui avait-on donné, mais qui, un cocher, un dompteur ? Autant de questions qui resteront maintenant sans réponse.

La génération de mes parents rechignait à jeter. Pourtant dans tout le bric-à-brac dont nous avons dû affronter le débarras, ma sœur et moi, nous n’avons rien retrouvé qui puisse ressembler à ce mystérieux fouet.

N’aurait-il existé que dans le huis-clos de mes souvenirs ?


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Commentaires

3 réponses à “Fouet”

  1. Avatar de Alain_G
    Alain_G

    Et si ce n’était que le laboureur.

    Sympa ta prose l’ami

    1. Avatar de Jean-Pierre
      Jean-Pierre

      Merci Alain d’avoir eu cette idée, je n’y avais pas pensé et pourtant elle colle parfaitement bien avec l’histoire de ma famille. Le grand-père paternel de mon père était réputé pour avoir gagné une année, le concours du sillon le plus droit au comice agricole de Vailly-sur-Sauldre.
      Aucune certitude que ce soit la bonne origine de ce fouet mais j’ai bien envie d’y croire.

  2. Avatar de Pierre
    Pierre

    Très belle écriture qui donnerait presque un aspect « sympathique » à cet instrument qui tel une bombe atomique était heureusement plus dissuasif que réellement utilisé. Toute une époque….

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