A onze heure

Le billet du 05 mai 2017

A onze heure

Aujourd’hui je me suis réveillé à onze heures. A mon âge, ce n’est pas banal. Il faut remonter bien loin le fil des années pour me remémorer les temps de la jeunesse vive et insouciante où, à onze heures, j’ouvrais un œil incertain encore cerné par les agapes nocturnes et les couchers matutinaux.

D’abord, ce sont des lueurs que j’ai aperçues. Je ne cherchais pas à les distinguer, j’étais simplement heureux de savoir que je pouvais les voir revenir du fond du sommeil noir et rempli d’oubli.

Regarder les lumières et surtout ne pas bouger, rester immobile pour prolonger l’abandon du corps. Juste ouvrir les yeux, les fermer, les rouvrir et aller ainsi voluptueusement sur un étiage en pente douce entre ‘je dors’ et ‘je suis’.

Quand même, pour se réveiller à onze heures, il faut être un sacré flemmard ! On ne peut pas faire ça sans remords quand on est bien élevé.

Eh bien, ce matin, je n’en n’avais pas. C’était une somnolence libre et bienheureuse. C’était un peu comme ces matins où l’on se souvient que, la veille, on a terminé un travail qui nous ennuyait profondément depuis des jours : tout d’un coup le poids du présent a basculé dans le passé et l’avenir s’en trouve tout léger.

En plus des lueurs, il y avait aussi des voix, des morceaux de conversations qui s’échangeaient, des claquements de porte. C’est normal, quand on débarque à onze heures, les autres sont déjà loin, ils sont déjà fiers de leur matinée. Ils commencent même à être émoustillés par l’idée de la pause-déjeuner, récompense méritée à leur courage dévoué.

Et moi, à onze heures, je flottais.

En plus des lumières et des voix, il y avait aussi des silhouettes qui allaient et venaient, toutes habillées en vert. De temps en temps, l’une d’elle penchait au dessus de mon lit son drôle de petit chapeau bleu vif, encapuchonné sur les cheveux. Marier aussi mal le bleu avec le vert, partout ailleurs ce serait une faute de goût, mais ici c’est normal, dans une salle de réveil.

Car ce matin, en réalité, j’ai été très matinal. Et pour tout vous dire, il m’a fallu me lever avant six heures pour aller à l’hôpital.