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Atelier d’écriture : 14/10/2024


CAHIER

J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un livre. A cause de sa couverture rigide, j’ai pensé à l’un de ces prix de fin d’année qu’on donnait aux bons élèves au siècle dernier.

J’aidais à vider la petite maison de banlieue de mes grands-parents. Je revois la sous-pente du grenier où on ne tenait debout qu’à l’aplomb du faîtage et les cascades de tuiles qui descendaient entre les chevrons, laissant voir leur dessous.

Je me souviens aussi de nos mains noires qui remuaient soixante ans de poussière parisienne.

En ouvrant ce livre, je compris que je n’y trouverai pas le nom de ma mère écrit en marge. C’était un cahier. Une écriture appliquée courait sur le lignage de ses pages, interrompue par des dessins au trait d’encre soigneusement coloriés au crayon.

La première page était sans équivoque :

Chansons et monologues

Georges Poupardin

109ème d’Infanterie Chaumont

Je tenais entre mes mains un cahier de chansons patiemment recopié et agrémenté d’illustrations et d’enjolivures à la Muchat et c’était mon grand-père qui avait fait ça. Je n’arrivais pas à le croire.

Une table des matières répertoriait cent chansons qui s’étalaient sur 285 pages. Au bas de certaines d’entre elles, des dates égrenais les mois de l’année 1912. Il avait du faire ça pour meubler son interminable service militaire.

Ce trésor résonnait en moi d’une manière particulière. J’avais 21 ans et j’étais dans ma période « barde ».

Un an plus tôt, à l’occasion d’une croisière hauturière organisée par ma promo, j’avais découvert et la voile et les soirées guitare.

Parmi les étudiants des années 70, il circulait alors des cahiers de chansons. Tapés sur des stencils par des doigts malhabiles, puis ronéotypés, les feuilles, au format A5 dans ma mémoire, étaient serrées ensemble par un profilé en plastique qui tenait lieu de reliure.

Les paroles étaient tapées toutes les deux lignes , entre les deux, c’était les accords à jouer qui étaient notés, placés sous les bonnes syllabes. Les mélodies étaient supposées être déjà dans nos têtes.

Subjugué par ce copain qui, en plus d’être notre chef de bord, savait nous entraîner sur les mots de Brassens, Brel, Moustaki, Ferrat, je m’y étais mis comme un forcené, les bouts des doigts de ma main gauche s’en souviennent. Moi aussi maintenant, j’avais ma place au centre ; je faisais gling, gling et les autres tout autour braillaient avec moi en cadence « Potemki-ne » !

Cela faisait déjà 8 ans que mon grand-père était mort, son souvenir commençait à s’effilocher et voilà que d’un coup, je découvrais qu’un fil nous reliait. Je le savais fin bricoleur, mécanicien chevronné, jardinier accompli et , lui qui disait toujours qu’il était allé à l’école à garder les vaches, il se dévoilait d’un coup , calligraphe, dessinateur et musicien. J’en étais sidéré.

J’ai gardé ce cahier avec moi précieusement et je l’ai encore. Presque 40 ans plus tard, alors que je vidais une autre maison de famille, j’ai découvert une photo de lui où il posait avec l’un de ses frères, une trompette à la main.

J’ai soudain cru entendre ces mots que répétait souvent ma grand-mère vers la fin de sa vie « Ah ! Georges et sa musique…. ». C’était une allusion qui n’allait jamais plus loin mais ma mémoire l’a teintée d’un ton d’agacement, presque de reproche.

Je crois qu’ils sont légion, ces cahiers jaunis que l’on a refermés un jour pressé par nos « sérieuses » obligations d’adulte.

Coincées entre leurs pages, on y a laissé s’étouffer toutes ces envies de jeunesse qui poussent encore dans nos jardins secrets.

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