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Le billet du 23 avril 2013

Ceci n’est pas une plaque

Je vous rapporte aujourd’hui une trouvaille tout fraîche qui me semble être bien à sa place dans cette chronique où j’ai fait vœu de m’intéresser à l’insignifiant.

Les nécessités de l’économie domestique poussent quelquefois le salarié à utiliser sa pause méridienne pour s’aventurer dans les boutiques aux fins d’investigation. Ce fut mon cas vendredi dernier ; 19ème jour d’avril de l’année en cours. L’esprit libéré par la satisfaction de la mission accomplie, je cheminais, attentif aux façades, cherchant l’enseigne d’une boulangerie pour trouver au retour une suite à mon sandwich de l’aller.

Sans doute un peu à cause de cette quête et beaucoup à cause du hasard, mes yeux s’élevèrent à 3m au dessus du trottoir sur la tache claire d’une plaque commémorative trouant l’ombre d’un mur. C’était au 52 de la rue de Charenton, dans 12ème arrondissement.

Hormis le contraste, il n’y avait aucune incongruité dans cet assemblage ; je veux dire par là que le caractère de la façade s’y prêtait. De hautes fenêtres dominées à l’étage de linteaux voûtés, protégées en chaussée par des grilles à barreaux et un vaste porche à corniche rehaussaient le simple mur de briques sombres d’un vernis de prestige révolu. Ex-siège d’un centre administratif omnipotent ou d’une activité commerciale jadis florissante ? L’anonymat de la destination actuelle ne donnait aucune indication, mais, que l’histoire se fut arrêtée ici un jour, ce n’était pas choquant.

Mon regard curieux se mit en devoir de déchiffrer ce qui avait été gravé dans le marbre. La première ligne portait une date « 17 avril 1967 », la suite était édifiante : « ici il ne s’est rien passé. ». Le résultat fut immédiat : j’éclatai d’un rire jubilatoire, ravi du canular et sortis mon téléphone pour photographier cette heureuse trouvaille.

Chemin faisant, le doute reprit ses droits et, à force de tourner la phrase dans tous ses sens, j’en arrivai à me convaincre que le 17 avril 1967, il s’était peut-être produit un de ces évènements sur lesquels la mémoire collective jette ensuite un voile pudique, un acte monstrueux découlant de la somme de nos petites chroniques de la lâcheté ordinaire et dont les habitants du lieu avaient voulu rejeter l’opprobre en écrivant haut et clair « Pas nous ! Pas nous ! ».

Décidé à découvrir quel genre de poussière on avait glissé sous le tapis j’interrogeai Google. Rien. Le 17 avril 1967 semble avoir été une journée creuse entre toutes, incapable, en tous points, d’intéresser le plus puissant des moteurs de recherche.

Par contre, je découvris un article fort complet et documenté d’un Monsieur Jean-Pierre Le Goff qui me fit comprendre que ma trouvaille n’avait rien d’unique. Ma plaque du 17 avril 1967 n’était que la sœur jumelle d’une fratrie multiple déjà inventoriée, cette fratrie avait elle-même des cousins, ceux du 19 décembre 1953, tout aussi creux. Cette famille cohabitait déjà sur les murs de la capitale avec deux autres, qui, soit célébrait des personnages fictifs, soit placardait à l’admiration des badauds l’insignifiance du quotidien.

J’avais donc buté, moi aussi, sur un des affleurements de tout un réseau de fausses plaques, récent, énigmatique, non revendiqué, et dont les auteurs et leur motivation ne sont connus à ce jour que par les interrogations qu’ils suscitent.

Pléthore d’hypothèses n’a jamais nuit : je me permets donc d’en formuler une de plus.

Je verrais bien dans ces auteurs une tribu de collégiens en mal de ‘pataphysique, déterminés à plagier sur le mode commémoratif la théorie du peintre René Magritte sur « La trahison des images » et remplacer son célèbre tableau « Ceci n’est pas une pipe » par « Ceci n’est pas une plaque ».

Quant au canular, il est drôle quand il est original. Le multiplier c’est en alourdir le trait et lui faire perdre son attrait.

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