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Le billet du 04 février 2014
Cousin Hubert
« Si j’ai poussé la familiarité jusqu’à t’appeler ‘cousin Hubert’, c’est que tu es l’exemple même de cet esprit de famille que j’ai apprécié en arrivant à la CPCU. Si demain, de fait, tu deviens pour moi un cousin éloigné, je te souhaite que ce soit pour mieux te rapprocher de ta vraie famille et y retrouver, sans partage, les saveurs de la vie ». Ça, c’était vers dix heures, mes mots déposés sur ta carte, qui circulait discrètement de bureau en bureau avec des clins d’œil entendus. Des mots jetés comme ça, hier, dans le métro du soir et raturés un peu dans celui de ce matin.
Hubert, c’est mon voisin de bureau. Aujourd’hui, c’était son dernier jour. On en parlait pourtant depuis longtemps, ensemble, de ce pays futur mais j’ai compris, en te voyant arriver, que de venir buter comme ça sur le dernier des quotidiens qui font une vie, c’était dur.
Toute la semaine, je t’ai entendu vider tes placards : des dossiers, des chemises, des classeurs… C’est vrai que tu étais un peu pagaillou, Hubert. En passant devant ta porte, je t’ai vu feuilleter encore tous ces morceaux d’histoires. On est tous pareils, on y a cru un jour, à toutes ces études, ces analyses, tous ces rapports et leurs conclusions que l’actualité rendait cruciales et que le passé nous fait jeter, dérisoires, dans la poubelle des recyclables. Du coup, ce matin, il ne restait plus grand-chose pour t’occuper.
A midi, tu as fait ton pot de départ, en comité réduit ; c’est plus sympa. Du coup ça allait mieux, tu as déballé tes glacières, tu as servi le champagne, t’avais plein de choses à faire. T’as bien assuré, Hubert.
On était tous autour de toi, on parlait de tout en parlant de rien, on remuait les souvenirs et on a fait les blagues d’usage. On t’a offert ton « Cahier d’exercices pour apprendre à prendre son temps » et ta SmartBox, celle du wek-end avec Madame dans des demeures de rêve. Avec Yves, on s’est dit que maintenant, c’était réglé : on savait déjà qu’on aurait aussi droit à la nôtre, le jour de notre départ. Et puis, petit à petit, chacun a dû y aller, parce qu’il avait encore des trucs à faire et toi, tu as rangé tes glacières.
Dans l’après midi, je ne t’ai pas beaucoup vu, au travers des lamelles du store. Tu étais monté dans les étages, pour le dernier tour de piste. Moi je me suis plongé dans mon écran. J’avais pas trop envie de penser à tous ces mots qu’il t’a fallu répéter, à chacune des portes.
Quand tu es revenu, il faisait déjà sombre. Je t’ai entendu taper ton dernier mail à la cantonade, tu parlais un peu tout seul. Un moment tu as dit : « Partir c’est mourir un peu ». C’était un peu sentencieux, mais çà résonnait quand même drôlement dans ton bureau vide. Matière d’épiloguer, je t’ai dit que, comme tu me précédais, je comptais sur toi pour revenir me donner des conseils. C’était pour faire semblant d’être drôle.
Et puis ils t’ont emmené pour une dernière mousse au ‘Barrezien’ : il y avait Stéphane, ton chef du moment, Paul , qui est toujours partant et Philippe qui allait venir après sa réunion. Pas sûr que c’était une bonne idée, ni que tu en avais vraiment envie, de l’amertume de cette dernière mousse. Il y a des fois, c’est mieux de partir vite.
Ce n’est pas qu’on était des intimes, cousin Hubert, mais on avait nos conversations de vieux. On parlait de nos filles respectives, et de leurs galères d’instit’ débutantes. Ça te faisait toujours rire, aussi, quand je te parlais de ma campagne sans électricité. On était toujours d’accord pour dénigrer tout ce qu’on ne comprenait plus dans le monde d’aujourd’hui. En partant, j’ai fait deux pas dans ton bureau vide et noir et j’ai imaginé le jour où ce serait mon tour.
Alors, ce soir dans le métro, moi aussi j’ai un peu le blues avec cette vie qui n’arrête jamais de tourner des pages, de finir des chapitres et de refermer des livres sur le mot FIN.
Eh cousin ! on n’a pas le choix! Haut les cœurs, y a du boulot ! Demain c’est un tout nouveau grimoire qu’il te faudra écrire. Alors, bonne plume, Hubert, bonne plume.
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