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Le billet du 19 novembre 2012

La chronique et le tunnel

Le titre de ma fable d’aujourd’hui est assez obscur, j’en conviens. Voici de quoi l’éclairer.

Depuis longtemps j’apprécie Philippe Meyer qui porte haut et fort le métier de chroniqueur radiophonique. Je goûte particulièrement à son écoute, la qualité du propos, la richesse des registres, la fluidité de l’élocution et la modulation du ton. Ceci est un éloge ; je l’avoue. Peut-être mon admiration est-elle un peu gâchée d’un brin de jalousie envers l’aisance dont il fait preuve à accorder le tout pour le mettre au service de ses sujets quotidiens. Des sujets parfois légers, parfois graves mais, qu’avec constance, il traite d’un humour fin, prenant régulièrement un malin plaisir à nous éclairer comme vessie, ce que l’actualité nous désigne sous le vocable de lanterne. Faut-il ajouter encore qu’il réussit tout cela dans le respect scrupuleux d’un français irréprochablement académique qu’il a le don de rendre réjouissant.

J’étais déjà « accro » à ces petites bulles de bonne humeur matinales au temps où il sévissait sur France Inter, prenant congés immuablement par cette formule lapidaire : « Nous vivons une époque moderne. ». Je dirais, de manière floue, que c’était il y a une bonne dizaine d’années. Par contre, je me souviens très précisément que c’était à l’heure des tartines de mon petit déjeuner car j’arrêtais souvent ma mastication pour ne pas en perdre une miette – de la chronique.

Puis, changeant d’emploi, je changeai d’horaires ; lui changea de radio ; en bref, je le perdis d’ouïe.

Il y a 2 ans environ je le retrouvai par hasard. Transhumant matin et soir par les chemins ferrés du Réseau Express Régional, mes oreilles appareillées le découvrirent un jour, hébergé par « Les Matinales » de France Culture. Pour lui une chronique de 7h57 à 8h00, pour moi un trajet d’approche de la capitale de 7h46 à 8h04, il n’en fallait pas plus pour que la concomitance reconduise à l’habitude et que de l’habitude renaisse l’addiction.

D’accord. Mais, « Et le tunnel ? » me direz vous.

Le tunnel guette la rame entre Gentilly et Cité Universitaire et tous les jours la rame me précipite dans son trou noir. Adieu radio, adieu chronique : 50 secondes de black-out.

Vous conviendrez que pour un discours de trois minutes une pareille amputation peut être fatale.

Mais justement, de fatalité il n’y en a point car autant la radio d’État sait respecter ses échéances, autant l’avancée des trains semble sensible à l’effet papillon. Qu’un voyageur soudain défaille, là-haut, dans le septentrion de la plaine d’Aulnay ou bien qu’un transformateur, d’un coup, s’échauffe dans les vallées australes de Chevreuse et c’est toute la ligne B qui cahote et qui crachote, mettant à mal toute la belle mathématique des horaires à deux chiffres après la virgule.

Ainsi, un jeu de hasard commence quotidiennement pour moi à Bourg-la-Reine. A cette étape j’en ai fini de mes démêlés avec la câblerie de mes prothèses et mes oreilles, dûment bouchonnées, se préparent à accueillir dignement la bonne parole. Si la chronique commence à Bagneux, tout va bien ; même en filant au plus vite le conducteur ne pourra matériellement pas se jeter dans l’obscurité avant que n’ait été prononcé le rituel « Le ciel vous tienne en joie. » qui clôt maintenant l’allocution.

Si l’on est déjà au quai de Laplace quand Philippe Meyer prend la parole, il est à parier que toute la fin manquera et que le journal de 8h en sera déjà à ses annonces en débouchant à Cité Universitaire…à moins…. à moins qu’une porte récalcitrante se refuse à la fermeture et retienne assez longtemps la rame à l’air libre. D’expérience, tous les possibles peuvent survenir, tout pronostic est voué à l’échec.

J’assiste à cette loterie sans agacement, sans frustration ni satisfaction déplacée, avec la sérénité de la bille d’acier qui zigzague sous la vitre du flipper. D’où me vient une pareille sagesse, demanderez-vous admiratifs ?

De deux raisons.

La première est que je ne saurais tenir grief à ce tunnel d’exister car il permet, par sa voûte, d’accéder à la tranquillité de ce lieu si charmant qu’est le parc Montsouris, ses joggers, ses poussettes et ses enfants qui courent au soleil autour des bassins.

La deuxième est que l’homme a inventé le podcast et que Philippe Meyer a fini par avoir raison : « nous vivons une époque moderne ».

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