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Le billet du lundi 10 septembre 2012
L’instinct grégaire
08h20, ligne 14, métro gare de Lyon, vers le milieu du quai.
Une certaine palanquée parmi les moutons qui débarquaient ici, a vécu ce matin là une humiliation profonde : je le sais, j’en étais. Une honte violente qui nivela d’un coup la haute estime que chacun d’eux avait pu se construire au regard de son apparentement à l’espèce « homme » en opposition aux espèces animales.
Ceux que la rame régurgite à cet endroit du quai sont, en majorité, ceux qui se réjouissent, depuis environ un an, qu’une autorité ‘R’atépienne attentive ait construit là de nouveaux escaliers qui sont fort commodes pour gagner sans détours, sur une plateforme à mi-voûte, l’issue vers l’air libre aménagée au travers des fondements mêmes de la maison mère, au 189 de la rue de Bercy (1).
J’étais encore à mi-pente de l’escalier mécanique qui hissait silencieusement le troupeau, quand je vis au dessus de moi, sur la plateforme, la tête de notre défilé buter contre un obstacle inhabituel : un mur de palissades, sournoisement installé pendant le week-end, qui entourait la lignée des hautes portes et condamnait toute issue.
Se sentant piégée, la troupe désemparée s’égailla un instant sur la plateforme en mouvements désordonnées ; chacun lançant à la ronde de muettes interrogations avec des regards où l’étonnement se laissait gagner par l’agacement.
Je ne saurais dire lequel d’entre nous sonna la retraite mais d’un coup chacun tourna des talons et, comme un seul homme, le troupeau retrouva son unité pour redescendre à l’étage inférieur, par l’escalier à marches fixes cette fois.
J’étais du nombre ; d’abord maugréant contre cette RATP imprévoyante « qui aurait pu prévenir qu’en haut c’était fermé ! » puis poussant l’affabilité jusqu’à alerter la palanquée suivante, nouvellement débarquée, et que l’escalier mécanique, impitoyable, emmenait à l’échec.
Parmi ceux-ci, pourtant, il devait y en avoir un, moins mouton que les autres. Un malin plus audacieux qui osa s’approcher, par le côté, près du portillon pour handicapés que les palissades avaient épargné. Un téméraire qui tenta de peser sur son montant et qui, en récompense, découvrit qu’une main l’avait déverrouillé : une main sans-doute aussi ‘R’atépienne et attentive que celle de l’autorité précédemment évoquée. La brèche était ouverte, tous les autres s’y engouffrèrent.
Sidéré de honte, j’assistais à tout cela d’en bas, au travers du garde corps vitré qui borde la plate-forme. Vexé comme un pou, je décidais de faire le tour et de sortir, comme par le passé, tout au bout du quai.
Un moment de honte est vite effacé, dit-on, et je pensais avoir oublié l’anecdote.
A quelques jours de là, dans un autre lieu, une autre cohue, mon regard s’accrocha sur les mots imprimés en blanc sur le dos du T-shirt noir d’un étudiant qui marchait devant moi.
« Inventer, c’est penser à côté ». La maxime, inspirée et rebelle, comme il sied à la jeunesse, raviva en moi le souvenir douloureux de l’épisode des moutons. Alors, de dépit, je décidais d’en faire un sujet pour mes billets.
(1) La Maison de la RATP (Ndt)
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