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Le billet du 17 juillet 2014

Marcel

Avec un prénom pareil, jamais tu n’aurais entraîné des milliers de jeunes de ma génération si tu ne t’étais pas appelé Dadi. Marcel Dadi : l’alchimie de ces deux mots a fait rêver tous les guitaristes en herbe des années 70. J’étais du nombre et, je l’avoue, moi aussi, je suis tombé sous le charme du mirage.

Avec ta ‘Méthode à Dadi’, tu avais dépoussiéré l’apprentissage de la musique et renversé la dictature austère du solfège. Grâce à tes tablatures, tout était simple. Il suffisait de lire les chiffres et de compter les cases sur le manche pour devenir, comme toi, un roi du picking. Ce n’était évidemment qu’une illusion. Nous n’avions pas ton talent et encore moins ta persévérance.

J’ai tout de suite aimé ta musique.

Moi qui avais vénéré le blues jusqu’à me lasser de sa désespérance hypnotique, tu t’en inspirais légèrement pour développer des mélodies toujours fraîches et joyeuses comme des matins de Noël. Tu emmenais mon oreille sur des routes harmoniques familières en l’enchantant de panoramas brillamment ciselés : jamais perdue, toujours émerveillée.

J’allais te voir une fois à l’Olympia. C’était en 1974, 75 ou 76 peut-être ? Je ne sais plus. Ton vinyl « Light’s up Nashville » tournait en boucle sur ma platine et c’était toute la Country de l’Amérique rurale qui agitait ses danses en quadrille, dopée au banjo et au glissando de la ‘pedal steel guitar’.

Toi, le méditerranéen, tu avais digéré tout l’Ouest américain, tout assimilé. Tu t’étais nourri au suc de Chet Atkins, ton père spirituel, pour en distiller une musique qui était la leur mais qui restait la tienne.

Richesse du métissage. Que ce soit sous la pluie serrée de tes doubles croches cristallines ou sous les secousses de tes syncopes, ton jeu restait toujours impeccablement propre et régulier. Tu gardais ce qu’il fallait d’élégance sobre pour faire croire que tout ça n’était que plaisanteries faciles alors que tu côtoyais la perfection. J’étais particulièrement jaloux de tes triolets, paresseusement étalés sur deux temps, si réguliers, que c’était comme une rémission au milieu des battements fous du binaire.

Et derrière tout ça, imperturbable, ton pouce qui martelait ses ‘basses bouchées’ comme un métronome. Ah ! Les ‘basses bouchées’, le pouls du picking ! Comment doser juste ce qu’il faut de pression pour que le plat du poignet amortisse la vibration de la corde tandis que les doigts continuent leur tricotage frénétique ? Voilà un mystère que je n’éclaircirai jamais !

17 juillet 1996 : un flash info annonça le crash du vol TWA 800 après son départ de New-York. Qu’allais-tu faire dans cet avion, Marcel ? Passager du destin, foudroyé avec lui dans ton ascension.

A cette époque, j’étais passé à d’autres choses et ma guitare dormait depuis déjà longtemps, oubliée dans un placard. N’empêche.

Dans mon puzzle affectif, ce fût comme si on venait de retirer une petite pièce, quelque part. Un futur encore possible qui s’était évanoui dans le passé révolu et dont le contour de l’image ouvrait maintenant sur un fond noir, sans reflets. Il ne nous régalera plus avec ses arpèges…

Bien des années plus tard, quand Internet, le magique, a mis au bout de mes doigts tous les disques du monde, c’est tout naturellement qu’ils ont tapé ton nom dans la rubrique ‘Recherche’. Tes musiques étaient toujours là, embusquées sur les serveurs. Tu vivais toujours dans la mémoire de tes fans.

J’ai replongé avec délices dans ces échos du passé mais j’ai aussi découvert d’autres albums que je n’avais jamais écoutés. Des mélodies plus intimes, pour lesquelles tu avais troqué l’acoustique acidulée des cordes métalliques pour le son plus moelleux d’une guitare électrique feutrée. Ta patte était intacte. Ton jeu, toujours si clair et si précis déroulait des phrases pleines de mots sucrés à murmurer à l’oreille des enfants.

Alors, comme je suis gourmand, tu as repris ta place dans mes playlists.

Au bout du compte, Marcel, malgré ta vie tronquée, tu nous as laissé beaucoup de bonheur à partager. J’avais juste envie de le dire par ce billet… in memoriam.

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