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Le billet du 11 février 2013

Marre de l’hiver

Quand j’entends le mot ‘Chandeleur’, je revois toujours un livre d’école. Dans l’enseignement laïc et républicain de ma vieille école communale, on m’a livré cet événement comme le moment magique où l’alouette descend réchauffer la terre engourdie en lui apportant un morceau de feu dérobé au soleil. Et le manuel de cette époque illustrait cela par un beau dessin d’oiseau piquant vers la campagne enneigée en tenant dans son bec une boule de feu.

Si cette image est restée aussi bien gravée dans ma mémoire, c’est sans doute que mon cerveau d’enfant, incapable de toute abstraction, ne se préoccupait alors que de savoir comment l’oiseau s’y prenait pour ne pas se brûler et se terrifiait à l’idée que la pauvre bête puisse terminer sa course, déjà toute rôtie, dans l’assiette de quelque humanité transie.

J’aurais dû me méfier: ce handicap mental ne pouvait me mener qu’à l’intellect primaire dont je fais preuve aujourd’hui.

Mais pourquoi vous assommer avec ces souvenirs?

Primo, parce que même si elle est passée, la Chandeleur n’est pas tant révolue que votre palais ne soit encore hanté par le souvenir des crêpes.

Deusio, parce qu’aujourd’hui, j’ai ressenti par deux fois dans mon corps la lassitude de l’hiver et, en conséquence, une forte envie d’alouette.

La première fois fût à midi.

Une défaillance momentanée de compagnons de table pour cause de réunionite, la mélancolie ambiante du lundi et une incroyable matinée exempte de pluies me poussèrent dehors. Je me retrouvais assis sur un banc à mastiquer sombrement un sandwich, captivé par les eaux de la Seine, gonflées d’ocre, qui courraient affleurant l’arrête du quai et réussissant même par endroit à s’épancher en rides mesurées sur le carreau des pavés. Le temps d’une lucarne ouverte dans les nuages et le soleil tomba sur moi. Quelques secondes seulement je sentis sa radiation bienfaisante traverser ma parka et réjouir ma peau. Par réflexe je fermais les yeux, surpris que cette chaleur me donne tant de bonheur; j’avais oublié combien c’était bon.

J’ai toujours pensé que, depuis qu’il est parti à la conquête de la planète, l’homme reste hanté par une quête atavique: retrouver sur son épiderme la chaleur tropicale de ses origines.

La deuxième fois fût le soir.

En regagnant ma station de métro, mon œil s’est attendri de voir que la lumière ne venait plus des candélabres mais du ciel rose parme qui rayonnait, au sud, par la trouée de la rue Villot. Caché par la ville je ne voyais pas le soleil, mais la mosaïque des vitres enflammant de leurs reflets les façades sombres m’a suffi, d’un coup, pour trouver plus supportable la bise qui glaçait mon visage. L’espoir était de retour.

A ces deux signes j’ai compris que mon corps en avait tout son soûl : des frimas, des pénombres humides, des douches glacées, des bourrasques cinglantes des horizons mangés par les brumes… Insidieusement, jour après jour la coupe s’est remplie. Assez !

Encore heureux que j’ai vu le jour par 49° de latitude Nord, si j’étais né au Groenland je serais devenu un esquimau neurasthénique.

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