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Le billet du 06 août 2017

Retrouvailles avec un vieux compère

Ce matin, un événement rarissime, une brève rencontre de quelques minutes, a marqué cette journée d’un souvenir profond qui a réveillé en moi des images lointaines.

C’était à l’heure du café au lait et des tartines, dans la toute petite maison au bord du grand pré, dans cette sorte d’ermitage où nous venons encore de temps en temps, pour nous noyer dans la nature, à trois heures de Paris.

Grand ciel dégagé. La lumière était encore gris-bleue à cette heure là, attendant que le soleil émerge au dessus du coteau et tente de se démêler des entrelacs que forment maintenant les aulnes au bord de la rivière. Comme une grande flaque pâle, les eaux du petit étang reposaient, calmes, derrière leurs bordures d’iris.

Je m’attable toujours face aux ouvertures pour profiter de la vue. Par l’embrasure de la porte vitrée je vois la zone plus claire de l’allée qui s’étend jusqu’au pied des trois bouleaux maintenant devenus des sentinelles géantes et familières, dressées au bord de l’étang.

D’un coup, ce cadre paisible s’est animé d’une trajectoire, celle d’une silhouette rousse trottinant sur quatre pattes. Il m’a suffi d’une forme, d’une couleur, pour que le héros de mes livres d’écolier resurgisse et pulvérise toutes les décennies de souvenirs accumulés par ma vie d’adulte bétonnée.

« Oh ! Regardes, un renard !!! »

Adieu tartines, le lait peut refroidir. Nous voici tous les deux au spectacle, le nez collé contre la vitre, chuchotant et retenant notre souffle comme deux enfants émerveillés.

L’absence de feu dans la cheminée et nos conversations « mezza-voce », étouffées par les fenêtres et portes fermées – pour cause de fraîcheur matinale – , n’avaient sans doute pas entamé la tranquillité des lieux. Abusé par cette normalité, dont il avait peut-être l’habitude, l’animal allait et venait en terrain découvert comme si nous n’existions pas.

Un petit tour vers l’étang, une traversée jusqu’à la haie qui borde la route, un retour vers les trois bouleaux ; passe et repasse, c’était comme à la parade. Tout le temps pour nous de détailler le pelage de sa gorge blanche, son museau allongé, sa gueule surlignée de noir et ce manchon de fourrure beige argenté qui le suivait en flottant. Évidemment, je fis quelques photos.

Entre deux épisodes de petites foulées avec la truffe au ras du sol, il s’arrêtait, figé, tête haute et seules ses oreilles tournaient par saccades, comme des radars furtifs. A chaque fois, nous retenions un peu plus notre souffle dans la crainte qu’il nous découvre et que le charme soit rompu par sa fuite. Je n’avais pas le souvenir que le renard ait eu de si grandes oreilles.

Compère Goupil, je l’ai dit, tu as été le héros de mes livres d’écolier. C’est avec toi que j’ai appris à lire, avec tes amis l’écureuil et la poule rousse. Plus tard, quand est venu pour moi le temps d’endosser l’habit de conteur d’histoires – à l’heure du coucher de mes enfants – j’ai pu constater que tu étais encore d’actualité dans la littérature de jeunesse.

L’humanité a fait de toi une légende. Les troubadours du moyen-âge t’ont mis en scène, La Fontaine t’a présenté comme un de nos semblables. Bouc-émissaire, la vilenie t’a chargé de tous les maux : expert en ruses et fourberies, à toi les rapines, assassin de poulailler ! Toi qui voulais juste vivre…. Jusqu’au sceau de la science qui a scellé ton destin en te désignant « vecteur de la rage ».

A te voir ainsi, fureter si discrètement dans les herbes, j’ai eu envie de te dire « Pauvre Goupil ! »,

Ta ronde autour de la maison t’a mené du côté de la kitchenette et nous, nous avons changé de fenêtre. Comme celle-ci était entrebâillée, sans bruit, je l’ai ouverte un peu plus pour pointer vers toi, sans obstacle, l’objectif de mon appareil photo. Aussi doucement que j’aie pu le faire, tu es quand même tombé en arrêt. Tes deux yeux ont fixé celui de mon cyclope qui te dévisageait et cette photo a été la dernière.

L’instant d’après, toi le carnassier sanguinaire, prêt à toutes les cruautés pour mener à bien tes vils desseins, tu n’étais plus qu’une fuite, une galopade de quatre petites pattes effrayées, poursuivie par un panache affolé. Tu as filé le long de la haie et tu y as plongé au premier espace libéré par les ronces.

D’un coup c’était fini : évanoui, disparu !

Renard a regagné le monde de l’invisible, au plus profond des fourrés et des taillis et à la fin de ces quelques lignes, encombrées de mes mots, compère Goupil a repris un instant sa place dans nos récits et nos histoires.

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