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Le billet du 17 avril 2017

Un attachement impromptu

La-Ferté-Saint-Aubin a été célèbre, en son temps, pour ses bouchons sur la nationale 20 à trente kilomètres au sud d’Orléans.. La construction de l’autoroute A71, dans les années 80, l’a peu à peu laisser retomber dans l’anonymat des bourgades de province. A La-Ferté-Saint-Aubin il y a un petit château, modeste. Sa façade de briques et de pierres, un peu décrépie, se tasse en retrait de la nationale.

Pour moi, La-Ferté-Saint-Aubin est, de longue date, une ville d’attaches familiales ; j’y viens en visite ou je m’y arrête pour passer dire bonjour. Ce vendredi 14 avril, ce devait être juste une étape, un point de rendez-vous avec ma fille, avant de continuer, avec elle, notre route jusque dans le Tarn.

Las ! Une vilaine crevaison a grippé la belle organisation avec son fâcheux contre-temps. Nous voilà à La-Ferté avec trois heures à occuper, comme un bateau qui arrive à l’escale et qui se trouve tout marri de ne plus avoir de ponton où lancer son amarre.

« Et si on en profitait pour visiter le château ? » Françoise a lancé l’idée, je la saisis comme une bouée. Pour la première fois, nous franchissons les grilles qui longent la nationale au lieu de les laisser défiler dans un regard latéral et nous jetons l’ancre sur le petit parking. Je l’ai dit au début, c’est un château modeste. Il a sans doute pâti de la notoriété de ses cousins royaux qui jalonnent la vallée de la Loire toute proche. C’est donc sans conviction que je me charge de mon appareil photo.

La visite débute dans le petit bâtiment annexe où s’est installée la billetterie et où l’on nous conseille de commencer, à l’étage, par une exposition de poupées et de jouets anciens. Nous voici bientôt sous les combles ; il faut bien occuper les trois heures.

C’était un piège, l’attachement était là : ces poupées sont des sirènes merveilleuses.

Regards d’angelots, joues rebondies au velouté de pêche, sourires tendres au dessus d’un menton à fossettes, moues lippues, renfrognées sur un caprice, mains potelées qui s’abandonnent : tout y est. Les habits ne sont pas en reste, ils nous replongent dans un passé de rubans et de dentelles, de satins lustrés qui jouent de leurs plis avec la lumière et les couleurs pâles. Chaque vitrine est une mise en scène. On y joue à l’épicière, à la marchande de bombons, à la cuisinière, entouré de dizaine de méticuleuses répliques lilliputiennes des objets d’adultes disposées sur les étagères guillochées de meubles en miniature.

Ces combles sont un grenier à souvenirs. De bulle en bulle, on plonge un peu plus dans les images de jadis. Peu à peu, c’est toute une enfance délicieusement surannée qui glisse sa menotte au creux de vos doigts gourds. Le charme a opéré, vous êtes attendri. Votre regard dur s’est ramolli et c’est un œil de sucre d’orge que vous poserez sur le reste de la visite.

On nous l’a dit en nous vendant nos billets, le château se visite de la cave au grenier et chaque pièce a été l’occasion de reconstituer un peu des univers domestiques d’autrefois. Ne cherchez pas l’ébène précieux, l’acajou signé ou la marqueterie savante, ce n’est pas le genre de la maison. Ici c’est l’humilité et la simplicité qui se mêlent pour reconstruire des morceaux d’hier. Tout cela sonne juste et s’accorde familièrement avec mon imaginaire de l’ancien temps, celui dont les récits de mes lectures et les souvenirs de mes grands-parents se faisaient l’écho.

Dans les fondements, il faut se laisser guider par les voûtes sombres d’un long couloir en respirant l’odeur des caves, de la pierre humide et du salpêtre ; après le cellier, elles vous mèneront à la cuisine.

Dans l’immense cheminée, la cendre froide distille son odeur acide. Une lumière chétive s’écoule des soupiraux, fait luire des alignements de pots en grès vernissés et s’étale sur une grande table de bois ciré où trône une majestueuse balance à plateaux de laiton qu’on appelait, je crois, « Roberval ».

La perspective des disques cuivrés d’une interminable batterie de casseroles peine à sortir ses reflets de la pénombre où se tapit la fonte massive d’une grosse cuisinière à bois ou à charbon. Tout cela n’a plus cours depuis longtemps mais on a l’impression qu’hier encore, ici, on cuisinait.

Sous les combles, c’est pareil. On croirait que les mains calleuses des artisans d’hier viennent de laisser leurs outils sur les établis pour le temps d’un repas ou d’une pause méritée.

Je reste en arrêt devant une série de formes en bois, servant de modèles pour laisser, en creux, leurs empreintes dans des moules à sable et fondre ensuite toutes sortes de socs de charrue, de poulies et d’autres objets dont l’utilité aujourd’hui nous échappe. Même vertige devant une collection de rabots, tous différents les uns des autres. Reste-t-il encore quelqu’un pour savoir à quoi chacun servait et connaître le geste qui en assurait le bon usage ?

Je suis toujours fasciné par cette intelligence industrieuse qui s’est ancrée pendant des siècles dans la matière. Qu’adviendra-t-il de nos savoirs d’aujourd’hui, virtuels et volatiles si, une à une, toute ces racines s’étiolent et disparaissent de notre mémoire ?

Toujours ce même sentiment dans l’écurie. Devant toute une penderie de brides et de harnais où s’emmêlent un fouillis de lanières, d’anneaux, de sangles et de boucles, deux magnifiques selles trônent à l’avant-scène. Bien peu pourrait dire encore qui faisait quoi, du cellier et du bourrelier. Les deux se sont fondus en une seule image, déjà bien floue, comme Castor et Pollux ou Roux-Combaluzier.

Les heures passent et la promenade continue dans cette brocante attachante. Corridors, boudoirs, anti-chambres, tous les recoins sont utilisés pour accueillir une simple panière d’osier posée sur une paillasse, une petite console de bois peinte où ont été placés deux pichets d’étain sur un plateau.

Dans l’embrasure d’une fenêtre, une haute tenture tombe au ras d’une méridienne qui ne semble là que pour attendre l’épaule ronde et blanche de Madame Récamier.

Même dans les pièces d’apparat, les tapis n’ont pas peur de montrer leur trame et les peintures des fenêtre leurs écailles. Dans la salle des gardes, le vieux piano Pleyel dévoile, avec un grand sourire, son ivoire édenté.

Dans la salle à manger, on a dressé la longue table devant la fenêtre pour vous convier à un joyeux repas de famille. Tout le long de la nappe rouge, la verroterie et la vaisselle font pétiller jusqu’au fond de la pièce la lumière qui entre en biais au travers de la vitre.

Ce n’est pas tout, il faut encore aller voir le parc, franchir les douves et aller là-bas, tout au fond, pour profiter du reflet des façades sur les eaux du Cosson. Et aussi jeter un coup d’œil au travers des fenêtres de ces maisons pour enfant qui s’éparpillent sous les arbres. Et puis encore examiner ces vieux vélos rouillés appuyés contre la brique d’un grand bâtiment allongé, faire deux pas à l’intérieur du vieux café qui y a élu domicile et se réjouir la vue du poêle, tassé dans l’angle, du présentoir garni de journaux jaunis, du mur de bouteilles qui préside derrière le comptoir et de ces deux coupes à pied en verre dépoli, qui semblent attendre, encore et encore, qu’un serveur les emmène.

Cette fois, sans qu’on s’en aperçoive, les heures ont vraiment tournées et bientôt, si nous nous attardons encore, c’est nous qui allons être en retard. C’est le moment de tourner le dos au perron et de refermer cette parenthèse en autrefois pour regagner notre voiture hybride. Pour le reste de la journée, je sais que j’aurai encore la tête pleine de mes quatre-vingt photos et de beaucoup d’autres images gentiment désuètes.

Il y a, comme ça, des lieux qui vous conquièrent sans coup férir : juste en vous ouvrant leur cœur.

J’ai réalisé un diaporama pour ce château :

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