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Le billet du 18 avril 2016

Vive le Hurepoix libre

Hurepoix. Voilà un mot qui m’a toujours intrigué. Ça sonne guttural, comme un mot qui résiste, qui ne se laisse ni lier, ni contracter. Un mot qui provoque le hiatus dès qu’on l’aborde.

Hurepoix. Ça fait penser aux temps anciens, aux manuels d’histoire de l’école primaire. On le rangerait bien avec les invasions des Wisigoths ou les héritages d’une reine Cunégonde.

Pour le banlieusard de la rive sud de la Seine que je suis, les sentiers du Hurepoix m’ont toujours fait rêver : sac à dos, cailloux roulants sous la chaussure, la brise sur le visage et une mer de vallons pour horizon. C’était un peu ma Possibilité d’une île à moi. Un petit paradis raisonnable, modeste et réalisable, le temps d’une échappée entre parenthèses, un dimanche après-midi.

Mais on le sait bien, dans notre vie si active, les samedis et les dimanches n’existent que pour rattraper ce qu’on n’a pas pu faire les autres jours. Quant à faire du Hurepoix une destination de vacances, vous n’y pensez pas ! C’est trop proche, trop commun, ce serait dévoiler au grand jour son manque d’ambition. Alors, les sentiers du Hurepoix n’ont jamais dépassé dans ma tête le stade réconfortant du conditionnel : je pourrais le faire… si je voulais.

Alors voilà, ce matin du 18 avril, pour la première fois que l’hiver se décidait à lâcher prise depuis que j’avais commencé ma nouvelle vie d’inactif, c’est sans doute pour ça que j’ai eu l’envie impérieuse de photographier des champs de colza. Car où trouver plus près de chez moi qu’en Hurepoix, des champs de colza en fleurs ?

Il n’y avait rien de spontané dans cette idée, elle était là depuis quelques temps. Elle attendait juste le soleil pour éclore.

J’ai été vite prêt. Quand on est libre, on part léger : mon appareil photo et son pied, moi et mes chaussures et un petit sac à dos vide pour le décor.

Hop, tout ça dans le coffre, ma clé USB dans son slot – avec le florilège de mes 718 MP3 favoris – et en avant sous le soleil. Huit heures quarante-cinq, roule petite voiture.

Ah ! Nationale 20 chérie, si familière, qu’il était doux de t’emprunter ce lundi matin à contre-flot. Allez-y, amis cotisants. Convergez vers vos labeurs parisiens. Il fait beau, moi je m’envole dans l’autre sens !

Un peu avant Etrechy, j’ai décidé que c’était assez loin et je suis sorti à droite. A moi les départementales !

Jacques Rouxel et Claude Piéplu faisaient dire aux Shadoks : « Dans la marine, quand on ne sait pas où on va, on y va le plus vite possible » . Moi c’est le contraire, quand je ne sais pas où je vais, j’y vais tout doucement, 70 km/h maximum au plus fort des descentes.

Une petite route boisée tournicote en plongeant vers une vallée. Tiens ? C’était quoi ce nuage bleu, au raz du sol dans le sous-bois ? Trop tard, le virage est passé.

Pourquoi « trop tard » ? Quand on est libre, on a le droit de changer d’avis. J’étais parti pour du colza jaune éclatant, mais, des clochettes bleues à l’ombre des ramures, pourquoi pas ?

Demi-tour, remonter un peu et garer la voiture.

J’ai bien campé une demi-heure dans ce versant boisé, à planter mon trépied ici, à le poser là-bas, ou peu plus loin, pour une photo d’ensemble, un premier plan sur ce vieux tronc tombé, couché dans l’herbe comme le Dormeur du Val. Et encore une ici, pour ces milliers de clochettes en uniforme bleu qui montent à l’assaut de la pente sous les feux du soleil matinal.

Et puis j’ai dit : « c’est bien ! ». J’ai décrotté mes chaussures dans l’herbe mouillée et j’ai repris ma petite route à la quête du colza.

Un peu plus loin, voici ma chance. Sur la gauche, un chantier d’abattage : des grumes alignées pour le chargement en bord de route et un chaos de terres éventrées par des ornières profondes au milieu d’un fouillis de branches enchevêtrées, repoussées en tas, à la hâte. Exactement ce que je cherche pour illustrer un projet de manifeste écologique en faveur des arbres.

Re-stop. Re-demi-heure. Le colza n’est pas pressé, il m’attendra bien.

En effet, un peu plus tard, je m’en régale. A chaque fois que mon œil fait clic, je m’arrête et je navigue un peu au bord des champs, à la recherche du bon angle, du bon point de vue. Ce long corps de ferme, tout étiré, qui rampe à l’horizon d’une marée de fleurs jaunes descendant en pente molle jusqu’aux pieds de trois poteaux téléphoniques, en recherche d’équilibre au bord de la route. Pourquoi pas ? Beaucoup de gens pensent que les poteaux défigurent les photos, mais, quand on est libre, on a le droit d’aimer les poteaux, aussi.

Midi, un panneau m’annonce l’entrée dans le village de Brières-les-Scellés. Je laisse la voiture sous la bienveillante protection du clocher de l’église et je traîne un peu le long des murs de pierre éblouissants.

Je quitte le village à pied. Le versant d’en face est un océan de fleurs jaunes ponctué de bosquets qui m’attire comme un aimant. Je remonte par la lisière d’un bois, je trouve vers la gauche un chemin d’exploitation et me voilà bientôt noyé, enivré par le parfum entêtant. Je mitraille le colza sous les feux croisés de mon objectif. Presque en haut du versant, je saisis tout le village, immobile et tranquille, calé au fond de sa cuvette comme un enfant endormi dans son berceau.

Treize heures trente. C’est bien. Je sais que c’est un paradis modeste, j’en ai assez pris, je peux rentrer.

Quinze heures passées. Encore attablé dans la cuisine, je pense à Philippe Delerm et à la délectation avec laquelle il décrit dans ses Plaisirs minuscules le bonheur de la Première gorgée de bière.

Moi aussi ce matin, j’ai savouré à petites lampées, le suc de la liberté.

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